Tout doit disparaitre
Petit matin d'orage de mauvais augure qui a cependant le mérite de balayer la torpide chaleur de la veille
8h30: les berges de l'étang fourmillent déjà. On me guide loin de ses rives sur un coin d'herbe le long duquel murmure un petit ruisseau poissonneux. La pluie menace encore mais je suis protégée par le feuillage d'un poirier et les hautes silhouettes des bouleaux. Tout le monde déballe bonne humeur et cartons parmi les premiers acheteurs qui furètent. On époussette, on arrange et on cherche l'angle le plus flatteur pour la marchandise "3 cm à gauche, un chouïa en avant."
Un jour de grand triage j'ai disparu derrière cinq piles de linge bébé: Celle qu'on m'a généreusement prêtée et qu'il faut rendre, celle indélébilement tâchée à jeter, celle qu'on va refiler à un petit bébé d'été, celle qu'on aimerait bien vendre pour le beurre des épinards et puis l'incertaine qui cependant exige de se projeter sur la ligne de vie, la pile lu'on trouve la plus jolie parce qu'elle regroupe les tout doux, tout rêvés, les tout pratiques qu'on tente d'imaginer animés à nouveau par un petit bout de vie. On a la tête tellement pleine des deux frimousses de mars qu'on a du mal à se représenter d'autres traits, d'autres sourires, d'autres caprices et facéties que les leurs, mais la pile est bien là, la pile des rêves auxquels on ne sait même pas si on tentera de donner réalité un jour.
En ce dimanche de brocante, la pile que j'agance en petits tas se fait étoffes de nostalgie. "Fille? garçon? naissance jusque 1 an" Des jeunes mamans s'arrêtent, des ventres ronds se projettent. Un contact "futurs jumeaux" pour revendre notre poussette power twin. On parle chiffons petite enfance et c'est bien plus qu'on partage. A vrai dire, on partage plus qu'on ne vend. Entre un nain de jardin du genre géant et trois cartons de bouquins, je goûte à ce jour loin du quotidien sur ma méridienne de velours grenat, celle qui m'avait ravie pour 50 euros et dont je ne voulais me séparer. Et puis après les méfaits du chien, les griffes du chat, le velours qui a commencé à sentir la poussière, et l'espace qui avait besoin d'être libéré, d'avis j'ai changé. Le soleil musarde entre les nuages. Matin moite. Je profite une dernière fois du moelleux velours sous les feuillages C'est un peu saugrenu de se croire dans son salon au bord d'un ruisseau. Je m'évade dans le "clairvoyage", charmant livre offert par Monsieur hier pour la fête des mères, et puis exit la méridienne, pour 65 euros.
C'est tout le village qui défile à petit pas au fil de mes pages, un chapitre m'emporte, trois euros j'empoche, ma page est perdu, mon nain vendu. Une connaissance de chorale s'attarde et nous nous découvrons une passion commune pour le jardin, bourgeon d'amitié à encourager.
La matinée passée, on ne vend plus ou presque plus, brocanteurs et acheteurs font "mine de", mais on profite surtout du bol d'air. Je garde un oeil sur l'heure et me projette l'ordinaire quotidien qui se déroule entre un papapillon et ses petits butterflies. Vers 15h, ils me rejoignent. Les yeux de Lynn s'écarquillent de me retrouver là et elle m'envoie des bisous dans les airs. Maxime fait le tour de la brocante avec son père. Il trottine ici et là, flatte les carrosseries des voitures de la main et réussit l'ascension jusqu'à l'aire de jeux qui surplombe l'étang, tout seul de ses petits pas. Lynn furètent et s'obstine à vouloir réorganiser mes piles de linge instables. Elle interroge le monde qui l'entoure de son petit doigts inquisiteur "et ça?"
On rentre moite, fatigué, affamé mais satisfait. Le bilan sonnant et trébuchant est satisfaisant mais ce qui l'emporte c'est simplement la fait d' avoir passé de bons moments sur un coin d'herbe à faire la marchande comme quand on était petit.
Et vous, que faites vous de tout votre bazar?
ps: et sans appareil photo!