Les boutiques à bonheur
* La première fut la boulangerie où l'on piochait et remplissait le petit sac en papier au fil de la dictée de mes envies gourmandes: "un crocodile, trois schtroumpfs, deux lassos et quatre soucoupes." 3 francs six sous pour un trésor de douceur et de couleurs.
*Bien des années plus tard, à la Poste, un bonheur similaire s'est rappelé à moi quand je me suis mise à acheter des timbres de collection plutôt que les Marianne ordinaires: "un vacances, trois petits Nicolas, un bloc chocolat, trois protections des pôles, deux jongleurs et une écuyère" avec le plaisir anticipé de les ranger avec soin dans le petit album où ils attendent patiemment d'être choisis pour les envois spéciaux.
*Depuis que j'utilise la machine à coudre de la grand-mère maternelle de Monsieur Papillon, c'est chez le marchand d'étoffes, de rubans et de couleurs que je m'approvisionne en petits plaisirs. J'étudie l'imprimé, lisse le soyeux du doigt et craque sur le diapré, l'irisé, le brasillant, le strass et le pailleté avec des projets plein la tête.
*Les librairies, déjà évoquées sur ce coin de toile, comptent bien sûr parmi les boutiques à bonheur. Je ne manque jamais d'y faire mon petit tour quand je me rends en ville. Une de mes préférées est spécialisée en ouvrages de jeunesse. D'abord, je me laisse allécher par sa vitrine dont la poésie aiguille déjà mes envies. A peine le seuil franchi, la sélection de cartes colorées fait renaître des envies de correspondances suivies, la caresse d'une plume sur le grain du papier finit par manquer à tant pianoter sur un clavier. Un sourire et je furète, feuillette, hume, effleure, caresse et me laisse guider par ce que chaque livre me murmure. Ils me parlent de rêves, d'évasion et de voyages, de beaux voyages embarquée sur les mots, emportée par les images. Il est difficile de leur résister. Comme je l'ai déjà dit sur ce coin de toile, si on me demande ce que je cherche et est ce que j'ai besoin d'aide, je secoue la tête, ajoute un sourire poli et m'en retourne à ma transparence. Je m'efface. J'attends qu'un livre me parle, m'appelle. Je ne cherche pas, je suis trouvée. La couverture d'abord, satinée, embossée, le grain des pages, la caresse, un mot, une phrase cueillie ici ou là, l'accroche au dos, un parfum. La rencontre se fait d'abord par les sens. Et puis la magie fait son oeuvre après, chez soi, ou pas.
Il y a les bouquinistes aussi, chez qui opère une alchimie un peu différente entre livres et lecteurs. Ce sont des lieux de hasard et de destins croisés. Tantôt à genoux, tantôt sur la pointe des pieds, entre deux piles en équilibre précaire, on explore, on furète, on déniche, on tente. Les livres qu'on y trouve portent deux histoires, la leur et celle de leurs précédents lecteurs pour peu qu'ils soient un peu comme moi. Neuf, ancien, offert, prêté, si un livre me tient j'aime y mettre aussi un peu de moi, un peu de mes jours, un grain de mon quotidien. S'il me semble logique qu'à sa lecture un livre s'inscrive en nous et nous laisse sa marque, l'inverse est également vrai. Le livre prend vie en se frottant à notre quotidien. La petite miette de biscuit ici, la goutte d'huile de bain parfumée là, les grains de sable qui gaufrent les pages, les coups de crayons pour baliser notre chemin et se souvenir de notre voyage d'un simple coup d'oeil sont autant de marques qui tiennent de l'intime communion entre le lecteur et l'ouvrage. Le quotidien se tisse à l'imaginaire et inversement. Les livres marquent de leur empreinte différents moments de notre vie.