Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
MinutePapillon8
MinutePapillon8
Archives
5 février 2010

Ces lieux qui nous habitent

IMGA0357

Après les premiers gribouillis impressionnistes de l'âge préscolaire, l'enfant s'applique à créer une ribambelle de bonshommes bâtons qui, avec le temps, prennent des rondeurs et représentent sa famille et ses proches. On a tous en mémoire ces premières œuvres malhabiles et cependant si touchantes.  Assez rapidement le tableau se complète: au dessus des bonshommes tout ronds vient briller le soleil,  sous leurs pieds pousse la hachure frénétique de l'herbe verte, à cela s'ajoute un arbre-nuage prêt à s'envoler vers le ciel et tout à côté se dresse LA MAISON. Ces éléments sont si fréquemment réunis qu'ils en deviennent presque indissociables, ce sont les portraits-bonheur de la galerie Tendre-Enfance. Sur le papier, les fenêtres  sont aussi grandes que la porte, le dehors s'invite un peu au-dedans. Haut-perchée, la cheminée étend ses voiles de fumée; elle témoigne de belles flambées dans l'âtre et évoque le coeur d'un foyer douillet, ronronnant et chaud autour duquel se regroupe le petit clan. Souvent dessinée à même échelle, la maison fait  figure de membre à part entière de la famille.

En me penchant sur le sujet et en cherchant à vérifier ce que j'avançais ici, j'ai découvert le coin de toile d'Isabelle Samyn-Bazin docteur en psychologie, qui nous dit:  "Presque tous les enfants dessinent leur maison avec toute la charge affective que peut comporter le dessin de la maison. Quand ils habitent un immeuble, ils dessinent une maison. Sur le plan symbolique, la maison est le chez soi, avec ceux qui habitent avec lui, elle est la valeur d'abri, de refuge, de protection, de sein maternel. C'est aussi le premier espace qui est exploré par l'enfant. C'est le symbole du milieu familial où vont se dérouler les premières expériences, dessin chargé d'affects. Marie Claire Debienne dit que la maison fonctionne comme un espace mythique. L'enfant y projette ses angoisses, ses fantasmes. On dit que le toit qui est le sommet de la maison est le siège de la pensée, la sécurité. La porte est l'accès à la maison, les portes minuscules se rencontrent chez les enfants qui ont des problèmes relationnels, refus de contact. La porte est rarement ouverte, la porte fermée est perçue comme un endroit sécurisant (...) Dessiner une maison, ce n'est pas seulement dessiner un volume, mais la socialisation de l'enfant, l'espace familial."

Maison-racine, dès la petite enfance.

tumblr_ktbl3vMpCe1qa96u9o1_500

Faire partie d'une famille pourrait donc se définir comme appartenir à un clan mais aussi à un lieu.

Petite j'ai toujours pensé que nous appartenions au lieu où nous vivions et vice versa.

Nous, nous avions cette chance, mais quand j'ai compris que ce n'était pas toujours le cas, j'ai été envahie par un malaise diffus. J'avais du mal à concevoir qu'on puisse occuper une maison qui n'était pas la sienne. J'imaginais  que les gens qui étaient locataires vivaient sur le qui-vive, entre deux valises, dans l'ombre de leur propriétaire. S'il y avait une chose dont j'étais sûre c'était que plus tard je ferai tout pour posséder une maison bien à moi sans avoir de compte à rendre à personne, une grande maison avec un beau soleil, de l'herbe verte, l'arbre-nuage, de grandes fenêtres et une cheminée qui fume.

Depuis je compte en tout 9 lieux de vie différents. Quittés un à un, propriétaire d'aucun, aujourd'hui ce sont eux qui m'habitent. Maisons, chambrettes, appartements; loués, partagés, achetés, attribués; tous ancrés en moi à jamais. Éparses coins de mémoire spatio-temporelle, ils dressent les cartes "topogrAffectives" des souvenirs intimes et feutrés propres aux scènes domestiques qui se jouent au cœur du foyer. Ces différents lieux de vie dressent l'architecture des souvenirs qui leurs sont intrinsèques.

Si je me sens habitée par eux, je suis convaincue que ces lieux où ont résonné nos joies, grondé nos colères et où se sont serinés nos rêves, gardent aussi l'écho de nos petits bouts de vie en leurs sein.

Au final, investir un lieu et l'habiter n'a donc pas grand chose à voir avec son titre de propriété, la somme pour laquelle il nous  est alloué ou ses conditions d'attributions. Habiter un lieu et le faire sien, c'est, petit à petit, parvenir à y invoquer toute sa poésie intérieure, assortir les couleurs, trouver le bon angle, faire se répondre les motifs, choisir le dépouillement sobre et serein ou la profusion exubérante et colorée. C'est œuvrer au nid: tapisser de livres et de rêves festonner de dessins et de  rires,  capitonner de coussins et de chansons, tamiser d'ambre et de miel, embaumer de douceurs et d'encens. Ainsi s'anime le cœur d'une maison qui se transforme alors en foyer, avec ou sans cheminée.

Mes rêves de petite fille ont donc pris une autre tournure. Je m''imaginais propriétaire sédentaire et je constate un passé et un avenir pas moins nomade. Les lieux se sont multipliés. Depuis que j'ai quitté la maison de mes premiers dessins, il a plu bien souvent, l'herbe n'a pas toujours été verte. Il y a eu quelques arbres et de grandes fenêtres aussi, mais de cheminée, jamais. Pourtant tous ces lieux ont été miens et le resteront pour  toujours. Tous ont été pour un temps transformés en foyers. Ces habitats multiples sont en fait une richesse plus qu'un regret ou une tare. Leur multiplicité a varié l'architecture de mes jours et à fait de  la  géographie de mes souvenirs un grand atlas. 

Depuis juillet 2007 nous occupons  habitons (la nuance est importante) un logement de fonction. Dans un petit lotissement de notre Poitou d'adoption se tient cette maison de plein pied, une maison pareille à celles que je méprisais quand je rêvais à mon manoir gothique de propriétaire sédentaire, un logement tout en angles, sans surprise, sans fantaisie, sans coin biscornu, sans soupirail, corniche, chatière, encorbellement, lucarne, oeil de boeuf,  oreil, meneau, guillotine, poutres ou porche. Une maison strictement pareille à ses voisines avec un tout petit ruban de jardin. Je m'y suis pliée. J'ai même parcouru la nuit qui nous séparait d'elle depuis le grand Nord jusqu'à son seuil avec impatience et exaltation. Nous roulions alors vers elle sans en savoir grand chose. Nous avions eu connaissance de son nombre de pièces et de ses trois pas de pelouse, mais nous ne l'avions jamais vue auparavant, pas même en photo.  Il n'y avait pas le choix, c'était comme ça, le sort qui l'avait décidé. Aujourd'hui j'y suis attachée. On peut dire que le sort nous a plutôt gâtés pour un logement de fonction. Cette maison, je la connais les yeux fermés. (Si je me lève en pleine nuit et que la lumière de l'éclairage publique qui filtre à travers les rideaux ne me permet pas d'y voir assez clair, je ferme les yeux et je vois mieux, je vois avec mon "plan interne", signe que cette maison est maintenant en moi. Vous avez déjà fait ça, fermer les yeux pour mieux voir?) Je la connais les yeux fermés donc, et pourtant il n'y a pas trois ans que nous l'habitons, peut-être est-ce le fait de toutes ces nuits où j'avais à me faufiler à tâtons d'un petit lit à l'autre.  Ces nuits où je tissais ma maternité à son silence. Drapée dans le velours noir de la nuit, la maison se faisait plus intime,  plus organique,  plus utérine et maternelle.

Notre nid est relativement spacieux, fonctionnel et alors que je ne jurais que par le patiné et l'ancien, j'en ai vite apprécié le confort et la facture relativement récente ( une chance plutôt rare pour un logement de fonction dans "notre branche"). Au dehors, elle garde son anonymat,  murs beiges, volets blancs, elle est restée identique aux autres; mais au-dedans elle est devenue nous. Au début je n'osais pas trop me lancer et puis j'ai quand même percé ici, planté là et tempéré quelques couleurs. Feu notre chat Nanou s'est chargé de lacérer les tapisseries à ses moments perdus. Les pièces ont déjà bien vécues, c'est sûr il faudra leur donner un coup de neuf quand arrivera l'heure de départ. J'aurai peine à faire disparaitre le pommier peint  dans la petite chambre en guise d'étendard quand les petits sont nés. Oh quelques couches de  peinture blanche y suffiront probablement, mais la peine sera dans mon cœur.

Un lieu de vie ce n'est pas seulement une déco, quatre murs et un toit, c'est une époque, une météo, un mode de vie, des odeurs. Ici ça aura été des mois solitaires dans ma maison bulle, alitée, à faire pousser les pépins de pomme dans le creux de mon être, sous la courtepointe de velours, entre mille pages de romans, tourmentée par les nausées, les piétinements de rate mais grisée par la magie qui s'opérait en moi, tour à tour impatiente et tranquille. Puis, ce fut les nuits pointillées, les premiers pleurs, premiers sourires, premiers pas, premiers mots, premiers dessins. A présent, la maison porte aussi l'écho de moments partagés avec famille et amis, ceux venus depuis notre grand nord d'origine pour nous rendre visite dans notre région d'adoption, et les autres avec qui l'amitié s'est nouée sur place. Il a fallu longtemps avant que cette amitié là ne fleurisse, mais aujourd'hui elle se propage et s'épanouit. Une amitié un peu folle, inattendue, généreuse, colorée et vive qui en a fait fleurir d'autres et nous enracine dans ce coin de France qu'elle participe à nous faire découvrir et aimer (oui Sophie, si tu as lu jusque là, c'est bien de toi dont il est question ici) Ce beau coin de France vert et arboré est une terre fertile où s'enraciner. Je m'y sens aujourd'hui à ma place et les différentes attaches et perspectives y sont nombreuses. Je dispose de mon poste de titulaire à une dizaine de kilomètres d'ici que je devrais reprendre en novembre 2010 ou en mars 2011 en fonction de la date d'entrée à l'école des petits; un bel espace culturel avec des tas de livres à feuilleter et de profonds fauteuils très accueillants vient d'ouvrir ses portes dans la ville voisine, ce qui nous manquait cruellement; les sushis ne sont qu'à une demi heure en voiture; je suis enfin habituée aux petites salles de ciné longiformes aux allures de cabines d'avion; j'ai mes séances de sport payées à l'année; une médiathèque ne devrait plus tarder à ouvrir à deux pas d'ici et ce matin nous admirions les jolies plantes qui venaient d'être plantées à ses abords (elle se situe dans la cour du bâtiment où se trouve la garderie), un pôle enfance et parentalité avec crèche et tout le tralala ouvrira dès l'année prochaine dans notre petite ville (intéressant si bébé3), la ludothèque ouvre maintenant chaque jeudi, soit un jour de plus par mois qu'en 2009; Kidikwa, une association multiculturelle vient de voir le jour avec un club de la petite enfance qui se réunit tous les mardis, Max et lynn commencent à peine leur initiation aux joies de l'équitation en compagnie de la gentille poneytte de Valentin, et puis j'ai des choses qui dorment au jardin.

Parce que oui, dans quelques mois nous aurons probablement à partir. L'équipe avec laquelle travaille Monsieur Pap' va être restructurée. Le grand jeu des dominos a commencé. Certains savent déjà où ils auront à aller, le premier départ est pour avril; d'autres ont vu leur désir de rester déjà exhaussé. L'équipe de 13 va se réduire à 7. D'après nos calculs aujourd'hui nous avons moins d'une chance sur deux de rester ici. Des souhaits ont été exprimés, tous ne pourront être suivis. Le nôtre, comme celui des 11 autres concernés, est de rester ici même ou d'être relocalisés dans une circonférence inférieure à 30km, rapport à mon poste fixe. De toute façon, que j'exerce à 30 kilomètres ou de l'autre côté de la rue, il m'est tout autant difficile de me projeter dans cette future "vie active" car ce sera tout aussi problématique si mes horaires mes retiennent après 17h et les soirs de réunion. Vraiment, si vous avez des suggestions, j'ai besoin d'être éclairée sur la question, comment combinez vous les horaires de vos enfants et les vôtres? Vérifier mon cartable le soir, colorier mon emploi du temps, ressortir mon stylo rouge  d'un côté et mes classroom encouragement stickers de l'autre, me mettre au jour des circulaires,  bref, endosser à nouveau le statut d'enseignante avec ses défis et ses  moments hauts en couleur, surement je saurai, je n'en ai pas (encore?) envie mais je saurai, mais gérer en plus le temps d'une famille de quatre avec un Pap' qui a des horaires qui changent de jour en jour et de semaines en semaines, là, en toute franchise, j'ai de sérieux doutes... ... ... Beaucoup d'inconnu donc, mais dans le fond c'est sans surprise, nous savions que nous embarquions dans une vie un peu nomade.

Nous bougerons de toute façon dans quelques mois ou quelques années. Nous bougerons à répétition.  Nous aurons de la peine, beaucoup, des au revoir à faire et des adieux aussi surement. Nous ne vivrons jamais dans cette maison de famille dont l'histoire m'émeut tant quand elle est chantée par Bénabar, 4 murs et 1 toit. Mais si je pleure chaque fois à l'entendre ce n'est pas par sentiment de perte ou de deuil, au contraire, ces pleurs m'emplissent et j'ai le sentiment de répondre alors à un tout, un bonheur fondamental qui m'habite et me parle quand j''écoute cette  chanson, l'ordre des choses  qui se fera, pas sous un toit, mais au sein d'un foyer hébergé ici et là, un foyer où chaque nouveau départ pourra aussi être vu comme un autre défi, une nouvelle aventure, une forme de richesse. Pas de cheminée ni de cabane dans le vieil arbre, pas de poules ni de chèvres dans ces chez nous là, exit les rêves de petite fille; mais un foyer nomade essence de nos êtres, un foyer abrité dans le colimaçon de nos coeurs, un foyer qui s'invente  et s'accorde à la vie d'ici ou là bas, je ne sais où encore. Une maison à l'image de celle de Barbara (que je redécouvre dans cette magnifique chanson figurant dans la playlist ci dessous. Je voulais la faire figurer en tête de liste mais je ne maitrise pas encore cette fonction sur deezer, alors si au hasard de l'écoute vous tombez sur Chantal Goya et qu'elle vous insupporte (tout le monde n'est pas tombé dedans quand il était petit) cliquez sur Barbara vous ne le regretterez pas) Un foyer tout en images que j'ai hâte de voir apparaitre à côté de nos pommes, avec un arbre-nuage,  un grand soleil, de l'herbe verte, de grandes fenêtres et une cheminée qui étend ses voiles de fumée sur leurs futurs dessins.

... ...

Et puis, en relativisant, avoir un toit, quel qu''il soit, est déjà une chance que beaucoup n'ont pas ou plus.

... ...

A la mi mars nous saurons si nos petites pousses et nous auront à être rempotés avant l'automne.

A la crainte, aux regrets et à la tristesse anticipés se mêlent l'impatience, la curiosité et l'excitation.

Que les dés soient jetés.

Entre temps je compte bien consacrer sur ce coin de toile un petit billet à chacun des 9 lieux qui ont un jour été "chez moi."

Et vous, quels  lieux habitez-vous et vice-versa?

 

Publicité
Commentaires
E
J'aimerais avoir un mail pour joindre Isabelle Samyn bazin car betement je n'arrive pas à recopier les lettres et chiffres du code protecteur...merci!
M
Je suis heureuse de lire que tu te plais dans le nord Noémie. La description de ta maison dans le nord me fait penser aux belles demeures de Lambersart devant lesquelles je passais rêveuse en allant travailler.
N
Quel joli billet!<br /> tu m'as fait penser à la façon dont j'habite les lieux, même les chambres d'hôtel, même les chambres pour médecins où on ne reste qu'un mois...<br /> chez moi il y a toujours un bordel invraissemblable, mais un bordel où mes amis disent qu'on se sent bien...<br /> <br /> Ici, dans ton Grand Nord où je suis arrivée il y a peu de temps, j'ai trouvé une grande maison, en brique, biscornue juste ce qu'il faut, avec des lucarnes, des escaliers, des coins et recoins... j'en suis ravie... j'ai toujours aimé les maisons de conte de fées, à coins et recoins, tourelles, et autres! Et ici, je me sens bien. Moi, fille du Sud, je me sens bien plus chez moi dans le Nord que nulle part ailleurs en France.
E
Quelle belle plume ! <br /> Je ne fais que passer mais je ne pouvais pas repartir sans te féliciter pour ce très beau texte et ton talent à faire partager ta vision et ton vécu du foyer.<br /> Bisous et courage pour l'organisation future !
M
J'ai donc fait un grand vide: http://minutepapillon8.canalblog.com/archives/2007/06/10/5255790.html<br /> <br /> http://minutepapillon8.canalblog.com/archives/2007/04/15/4637697.html<br /> <br /> et puis ça s'est encombré à nouveau, des jouets partout ;D<br /> <br /> Et il y a des choses dont j'ai grand peine à me séparer. Par exemple, je ne suis pas sûre que mes livres tiendraient dans ta voiture, même un break!<br /> <br /> espace et sécurité, ah tiens je suis d'accord avec toi, je développerai en revenant sur mes 9 lieux de vie<br /> <br /> j'adore tes bavardes solsken et je souhaite que tes rêves se réalisent!<br /> <br /> pat: tu as raison même dans le plus beaux des manoirs gothiques il faudrait un temps d'adaptation.<br /> <br /> lilou: j'ai hâte de lire ça, on va se régaler!
MinutePapillon8
  • Ici demeurent mes petits papillons qui reflètent, tour à tour, mes belles envolées de bonheur et aussi parfois, mes petits froissements d'ailes...Nature, lecture, photos, animaux, cuisine, scrapbooking, musique, voyage, partage...LA VIE VIREVOLTE. Depus la
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Publicité